dimanche 27 novembre 2011

Attention, sujet sensible !

-Je n'en peux plus docteur ! Je suis perdu.
-Allons allons. Vous vous sentez perdu ? Dites moi ce que vous avez sur le cœur.
-Je suis perdu. Me sens vide de sens. D'objectif. Je vais droit dans la vie, sans question, ni obstacle. C'est tuant.
-SI cela peut vous rassurer, vous n'êtes pas le seul à venir me voir pour ça. Hier encore encore, j'avais 5 patients des États-Unis et 6 de la Syrie.
-Ouais. Sûrement...
-Cela vous rassure ? 
-Non... enfin... non... enfin... c'est vrai que maintenant que vous le dites. On est tellement nombreux. Il doit bien y en avoir quelques-uns qui trouvent leur voie. Mes camarades de chambrée, par exemple. Je suis sûr qu'ils ont réussi à amorcer leur carrière...

-Vous voyez. Il y a toujours de l'espoir.
-... On s'était connu en boite. Ce fut tout de suite l'amitié. A la vie, à la mort. On se ressemblait tellement. Faut dire à se charger comme on le faisait, ça créait des liens. On s'était même fait tatouer les fesses. Ce qu'on avait douillé.
-Voilàààà. Il faut se rappeler des bons moments.

-Vous avez raison. Je devrais encaisser. Prendre du recul. Vous savez, je n'ai pas toujours été comme ça. Déprimé je veux dire. Avant, j'étais beaucoup plus joyeux. Je savais où j'irais.
-Oui oui, mais...
-J'aimais bien sortir, aller me balader dans les champs.
-Bien sûr, bien sûr, cependant...
-De jour, avec les potes, on regardait passer les femmes et les enfants ; en ce disant « un jour peut-être »
-Sûrement, sûrement...
-Et puis la nuit, on s'amusait à tourner avec les russes. C'était le bon temps.
-Oui, oui, par contre...
-Et puis après ce fut le Vietnam. Un chouette voyage. Au départ. Il y avait tellement de gens. Tellement. Et puis nous, on était pas les derniers pour la chose, si vous voyez ce que je veux dire.
-Que trop bien !
-Côté pénétration, on assurait !
-J'avais compris.
-Et là, tout s'est enrayé.
-Voilà, racontez moi ça. 

-Ho... pas grand chose à dire. On a quitté la ville et le quotidien c'est transformé en routine. L'ambiance était pas terrible. Mortel même. En guise de champ, on avait que des forêts. Pas âme qui vive à des dizaines de lieux ; ou alors fallait bien les chercher.
-C'est ce changement environnement qui vous a pesé ?
- Hein ? Ho non ! Je m'y suis fait rapidement. Non, c'est plutôt la solitude qui me pèse.
-Alors parlez moi de cette solitude. 

-A ce moment, j'étais toujours avec mes potes. On ne se quittait pas. Pas un instant. Et puis... et puis... les soucis sont arrivés. En rafale. Tous mes amis, même les plus proches sont partis. Je me retrouvais tout seul dans notre petite cabane en acier.
-Mmmmhh...
-Pourtant, la solitude, je connais. Même mes parents m'ont abandonné. Quasiment à ma naissance.
-Ho !
-Bah oui « Ho ! ». Mais ma famille d'accueil était très sympa. Pas un jour sans que l'on s'occupe de moi. J'étais au chaud, au sec et on ne manquait jamais de vérifier que j'étais bien propre. Ce furent, peut-être, les plus belles années de mon existence.

-Quand vous dites qu'on vérifiait votre propreté... vous voulez dire, partout ?
-Oui, partout. J'étais poli comme un sous neuf. La propreté c'est essentiel pour ne pas dévier, pour filer droit, me disait-on.
-Partout, partout ?
-Bien sûr. On me passait à la brosse, plusieurs fois par jour. Parfois c'était un peu délicat, enfin... en bas quoi. Mais après on me caressait au chiffon doux et ça... c'était le bonheur.
-Et heu... ce traitement a duré longtemps ?
-Me faire astiquer ? Et bien... laissez moi réfléchir. Parfois, je manque d'un peu de plomb dans la tête. Ha ha ha...
-Ha...
-Jusqu'au Vietnam je crois.
-Quand même.
-Vous trouvez que c'est trop ?
-Hem... Parlez moi plutôt de cette cabane en acier !

-Ha oui... et bien... voilà j'étais seul. Il faisait nuit. Les bruits de la jungle se faisait oppressant. Dangereux. La pluie n'arrangeait rien, cachant la lune et écrasant les sons. Ma visibilité était limitée à une toute petite lucarne ronde. Et encore.
-Bien... continuez...
-Ensuite, le bruit de fond sembla baisser de volume. Comme si la nature s'attendait à un malheur et retenait son souffle. Je crus entendre un bruit de pas. C'était très indistinct. Dans le lointain. Mais cela se rapprochait. Je savais qu'il y avait un village non loin. Peut-être une paysanne, avec un peu chance... mais comment savoir.
-Oui. Bien sûr.
-Cela s'approchait. S'approchait encore. Je ne savais pas trop quoi faire. Et là... un chien m'a cogné le cul. Paf ! Je suis partit tout seul. Tout droit. Sans m'arrêter. Et...

-Eeeet c'est la fin de la séance.
-Vraiment docteur ?
-Oui oui.
-Et vous savez ce que j'ai ? C'est grave ?
-Vous êtes sensibles. Voilà tout.
-Ha...
-Et ne vous inquiétez pas. Une balle perdue telle que vous, ne l'est jamais pour tout le monde.


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Laisser une petite bafouille, cela fait toujours plaisir !!